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Journal des ateliers Points de Suspension
28 novembre 2006

Spountz

Je vous présente Spountz. Une nouvelle qui est loin d'être finie et que je continue d'enrichir...

Spountz ne ressemblait à aucun autre chien : court sur pattes, le poil bouclé, noir avec un soupçon de blanc sous le cou, l’air enjôleur. Mais Spountz cachait bien son jeu. Lorsque vous vous approchiez de lui, il frétillait de la queue tout en vous regardant droit dans les yeux, l’air de dire : « Donne-moi un susucre, je te rendrai la pareille. » Et quelle pareille ! Sitôt la main tendue vers Spountz, il vous l’attrapait, s’y agrippait. Enfin, il commençait par la manche. Autant ne pas aller droit au but… Spountz se délectait lorsqu’il jouait avec ses victimes avant d’en finir avec elles. Et Spountz prenait un malin plaisir à les choisir.

Ah oui ! Je ne vous l’avais pas dit. Spountz était un chien errant, et solitaire qui plus est. Et c’était un choix, son choix. Car autrefois il avait eu des maîtres. Enfin, il les appelait plutôt ses « bourreaux ». Cela avait duré presque deux ans. Deux années en enfer. Ils étaient à la fois mièvres, naïfs et mielleux. Et surtout, ils lui parlaient comme à un abruti. Et la cerise sur le gâteau, c’était la nourriture qu’ils osaient lui imposer : une espèce de gelée en cubes au goût rance servie deux fois par jour qu’il ne pouvait se résigner à ingurgiter. Enfin, les quelques essais s’étaient terminés par deux jours de diète… Ils s’en étaient bien évidemment aperçus, mais croyez-vous qu’ils auraient amélioré le régime alimentaire de leur toutou favori ?

Spountz en était rendu à faire les poubelles du quartier pour ne pas mourir de faim. Mais s’il n’y avait eu que cela… Leur cruauté à son égard n’avait pas de limite. Ils avaient un jour décidé que Spountz ne dormirait plus à l’intérieur dans son panier. Prétextant une odeur écœurante – mais si je sens fort, à qui la faute ?! – et son caractère déchaîné – enfin, Spountz était ce qu’on pouvait appeler un hyperactif, comportement paradoxal compte-tenu des deux loques qui lui servaient de maîtres ; mais c’était ça ou se laisser aller à la mélancolie, la morosité, une fatalité. Alors chaque soir, vers 20 heures, c’était le même rituel : ils le mettaient dehors.

Spountz les avait très rapidement haïs si bien qu’avant de partir, il avait décidé de se venger. C’était donc sur ses deux tortionnaires qu’il s’était exercé.

Il avait saccagé la maison tout entière pendant qu’ils travaillaient à l’extérieur. Mais il ne s’était pas arrêté en si bon chemin. Avant de partir définitivement, Spountz avait patiemment attendu leur retour tout en ayant pris soin de leur préparer une petite surprise de son choix. Pour Monsieur, une savonnette savamment placée sur le carrelage glissant à souhait de l’entrée principale ; pour Madame, qui n’entrait que par la porte du garage – allez savoir pourquoi ces deux benêts n’étaient même pas capables d’entrer ensemble dans leur propre maison -, une électrocution du premier crû.

Oui, Spountz était un chien brillant, intelligent, à n’en pas douter. Intelligemment doué pour la cruauté. Et habile qui plus est.

Car c’était un art que d’arriver à tenir le plus longtemps possible entre ses petits crocs une veste, un sac et de s’y agripper tant que la victime n’adoptait pas un tint verdâtre. Car il fallait attendre avant d’attaquer vraiment de voir poindre cette fameuse panique qui se transformait très vite en frayeur. Sinon, l’attaque était moins glorieuse, et Spountz ne supportait pas une journée sans réussite totale.

Spountz aimait passer en moyenne un quart d’heure par victime. Il lui arrivait qu’une lui échappe. Enfin, pas tout à fait car Spountz la suivait discrètement jusque chez elle ou sur son lieu de travail tel un détective privé – Spountz s’était délecté des films noirs des années 1940 dans lesquels Humphrey Bogart, son idole, lui avait servi de modèle. Ensuite, il y revenait tous les jours et guettait. Il lui fallait attendre le moment opportun. L’effet de surprise.

Justement, Spountz venait de repérer sa prochaine victime qu’il traquait depuis bientôt une semaine. Il avait décidé de passer à l’action aujourd’hui. Tout son petit corps en frétillait de joie. ça allait être l’extase, sa plus sublime réussite. Car fini la demi-mesure. Spountz pensait prendre sa retraite après ou tout au moins faire une pause. Il l’aurait bien mérité. Qu’avait-il prévu pour la suite de sa longue vie de chien errant ? Il avait tout simplement l’intention de voyager à travers le monde en s’embarquant clandestinement sur le premier paquebot qui accosterait, lui qui ne connaissait jusqu’à présent que ce quartier peu reluisant de cette triste et déprimante ville appelée …. Et vive l’aventure ! Mais découvrir le monde ne pourrait combler un chien de caractère comme Spountz. Deviendrait-il un « gentil toutou » sous prétexte qu’il irait vers d’autres quêtes ? Il serait naïf d’y songer ne serait-ce qu’une minute. Peut-être rencontrerait-il d’autres congénères de sa trempe avec qui il pourrait continuer – en groupe, cette fois-ci de traquer ces imbéciles, ces soi-disant « maîtres du monde » puant le fric, toute cette bêtise humaine qu’il fallait éradiquer.

Mais revenons à cette ultime victoire. Spountz avait choisi pour victime un homme représentant ce qu’il abhorrait le plus chez l’espèce humaine : le businessman. Le winner, si vous préférez. Le mec sûr de lui en toute occasion, qui ne doute de rien. Et là, Spountz avait devant lui un des plus beaux spécimens.

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