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Journal des ateliers Points de Suspension
4 janvier 2007

Sans parole 1

Il essaye de se tourner pour regarder l’heure. Il sait que le réveil est de l’autre côté du lit, du côté de la fenêtre. Elle donne sur le parc. Il a de la chance. Leschambres de certains sont sur la rue. C’est plus bruyant, surtout le matin avec les embouteillages ou la nuit quand les sirènes du Samu retentissent.
Lui aussi, c’est grâce au Samu qu’il est arrivé ici. Grâce ou à cause ?  Plus il y réfléchit, plus il se dit qu’il aurait mieux fait de n’appeler personne lorsqu’il est tombé. Il aurait dû rester chez lui bien tranquillement avec son chat. La mort serait venue doucement. Il nn’aurait pas souffert. Il se serait éteint dignement.
Au lieu de cela, il a rampé pour s’approcher du téléphone et quelques minutes plus tard, ils étaient là pour l’emmener dans cet hôpital où depuis il compte les minutes.
Il fait encore un effort mais ne réussit pas à se tourner. Finalement, cela n’a pas d’importance car il a toujours eu une horloge dans la tête. Il est certain qu’il est 14h48. Dans 12 minutes, elle sera là. Pour l’heure c’est facile, c’était son métier, sa passion. Il a passé sa vie dans les rouages, les mécanismes d’horlogerie. Il en avait vu passer des centaines de montres à pile, à quartz, des horloges, des comtoises, même une Rolex qu’un touriste lui avait demandé un jour de réparer.
14h53 : Dans 7 minutes, elle sera là. Elle lui parlera, lui racontera les menus détails de son quotidien. C’est une gentille fille, elle vient tous les jours. Elle rencontre les médecins, elle demande aux infirmières de s’occuper de lui du mieux possible. Il sait qu’elle fait tout ce qu’elle peut pour lui. Comme toujours. Lui, il n’est pas certain d’avoir toujours fait ce qu’il fallait pour elle.

Aujourd’hui, il est coincé dans ce corps qui ne lui appartient plus et il ne peut pas lui dire tout ce qu’il a tu pendant toutes ces années.

15h : ponctuelle comme tous les jours, elle l’embrasse délicatement sur les joues. Elle donne l’impression d’avoir peur de le casser. Si elle savait, s’il pouvait lui dire qu’il rêve qu’elle l’embrasse bien fort, qu’elle fasse claquer deux baisers sonores comme lorsqu’elle était petite et qu’elle rentrait de l’école.

Elle s’assied sur le fauteuil à droite, pose doucement son sac à ses pieds et sans réellement le regarder, raconte sa journée, le film qu’elle a vu hier, que Lucas a eu 9/10 à sa dictée. Pourquoi n’ose t’elle pas le regarder en face ?  Juste une fois -  en lui serrant les mains très fort. Alors il aurait moins peur, il aurait moins froid. Elle verrait dans son regard tout ce que durant ces longues années, il n’a pas réussi à lui dire. Il avait l’impression que c’était des déballages de bonne femme, que s’il lui disait à quel point il l’aime, elle serait moins forte, elle aurait toujours besoin de lui.

Elle se lève, remonte la couverture, arrange le coussin et s’assied à nouveau.

« Remets encore une fois ta main sur mes épaules. Cela me rassure. Tu sais, ce n’est pas mourir qui me fait peur. De vagues reliquats de croyances chrétiennes me laissent espérer que je retrouverai peut-être ta mère. Ce qui me fait peur, c’est que tu crois que je ne t’ai pas aimée. Si tu savais comme je voudrais pouvoir te parler ou t’écrire. Rien qu’une fois encore. Juste une fois. Une fois pour te dire les mots que je n’ai jamais prononcés : « Je t’aime Julie ». Ceux qui t’ont peut-être manqués pour grandir. Ceux qui t’ont faite si fragile que tu as couru dans les bras du premier imbécile qui te les a murmurés, que tu l’as cru et que tu l’as épousé. Parce que comme ton idiot de père, tu n’as qu’une seule parole. »

Elle se lève, enfile son manteau.

« Non, ne pars pas tout de suite. Pas maintenant. Regarde moi dans les yeux, s’il te plaît. Fais un effort. Essaie de comprendre ce que je voudrais tellement te dire. »

Avant de fermer la porte, elle se tourne vers lui et l’espace d’un instant soutient son regard.

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